Fin de la manifestation
rideau

A Alger le discours du président de la République a placé chacun devant sa conscience. Même la population européenne, qui a cristallisé sa haine sur un seul personnage, l'a entendu. Et cela grâce au discours de Delouvrier. Par sa passion, il a « fait la trouée » dans des esprits qui la veille encore ne voulaient rien savoir.
D'heure en heure la situation « pourrit ». La 10" D.P. a été relevée par des régiments de la 25' D.P. Toujours des paras « pour ne pas heurter la foule », mais ceux-là ont leur base arrière à Philippeville. Ils ne sont pas personnellement attachés à la population algéroise. En outre, ils sont lancés dans la pacification de l'Algérie musulmane et ont à coeur de la mener à bien sans être gênés par les manifestations locales des Algérois. Et puis Challe s'est décidé à faire venir des chasseurs qui depuis des mois crapahutent dans le bled. Mêlés aux paras de la 25' D.P., ils mettent en place, dans la journée de samedi, un barrage efficace autour des barricades.
Depuis le discours de Delouvrier, depuis le déluge de vendredi il y a moins de monde autour du réduit. Les « désertions » ont porté un coup au moral de beaucoup de ces U.T. qui commencent à penser qu'il vaudrait mieux « retourner à la maison ».

roger hernandez
lagaillarde

Dimanche 31 janvier. C'est le dernier espoir des insurgés. Que la population afflue au camp retranché. Qu'elle proclame sa solidarité complète ! Qu'elle soit prête à mourir sur les barricades ! Qu'Alger soit Budapest !
Dès l'aube ça manifeste dans tous les quartiers de la ville. Mais le périmètre des facultés reste isolé. Crépin a reçu ses ordres : rendre imperméable le barrage qui entoure le périmètre rebelle. Qu'à aucun prix la foule ne puisse rejoindre les barricades.
Les dernières nouvelles provenant d'Alger sont bonnes. La foule a fait plusieurs tentatives pour rejoindre les barricades mais les barrages ont tenu. Et à 19 heures le peuple d'Alger est rentré chez lui.
Le camp retranché est désormais isolé. Face à face les U.T. et les chasseurs s'observent sur le plateau des Glières, l'arme à la main. Autour du réduit Lagaillarde, le I" R.E.P. de Dufour a établi un barrage infranchissable. L'heure dangereuse est passée.

A 7 heures du matin le délégué général apprend qu'Ortiz a quitté le réduit. Le Chef s'est sauvé. Dans son camp, c'est la débandade. Toute la nuit les U.T. ont quitté les barricades, abandonnant leurs armes et leurs équipements. Ils sont retournés chez eux.
Reste Lagaillarde. Delouvrier accepte la sortie en armes mais pas le défilé en ville. Le dernier carré pourra s'engager dans l'armée. En revanche, le délégué général ne peut donner aucune garantie à Lagaillarde.
Rue Charles-Péguy, Lagaillarde, pâle, le visage crispé, défile en tête de ses hommes. Sur la poitrine, barrée par la mitraillette, il porte la croix de la valeur militaire. Derrière lui vient le drapeau de l'Amicale des anciens du 3, le beau régiment de Bigeard, suivi de ses hommes en armes, l'uniforme bien tiré. Les rares U.T. d'Ortiz qui n'aient pas quitté la barricade se mêlent à la troupe. Un silence impressionnant règne sur ce plateau des Glières, hier en folie. Quelques rares spectateurs pleurent. Au passage du drapeau, un ordre jaillit. Comme un seul homme, les paras de Dufour présentent les armes. Le colonel salue. Lagaillarde se dirige vers une jeep qui va le conduire à Zéralda d'où il gagnera la prison de la Santé.
Près de quatre cents hommes en armes montent dans les camions bâchés. Ils vont former, selon l'accord pris avec Delouvrier, le commando Alcazar qui s'engagera pour un mois aux côtés des légionnaires. A Zeralda ils ne seront plus que deux cents. Quand, qua­rante-huit heures plus tard, le capitaine Guy Forzy, fidèle parmi les fidèles, en prendra le commandement, il en restera cent...
Déjà les cantonniers, aidés par la troupe, démontent la barricade, replacent les pavés sur la chaussée sous le regard étrangement absent des travailleurs qui attendent l'autobus. La grève générale est terminée. La vie reprend. Les espoirs les plus fous se sont évanouis.
La ville sait désormais qu'elle n'est plus maîtresse de là politique de la France. L'armée, qui lui avait donné tant d'assurances, l'a abandonnée. Pour la première fois, Paris n'a pas cédé. Alger brisé, cassé, trahi, humilié, va rapprendre à vivre. Mais rien, jamais plus, ne sera comme avant.

ortiz
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Manif du 24 janvier 1960